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le zinc de l'écriture
19 mai 2009

Luster *

Ah ! ce pouilleux, ce malfrat, cette vermine ! C’est l’homme le plus véreux que je connaisse en ce bas monde, quoiqu’à mon avis au-cun ver au monde ne voudrait l’habiter. Cette raclure de fond de bidet doit être plus que pourrie de l’intérieur vu ce qui en ressort en terme de méchanceté, de violence et de bêtise.
Surnommé tête de fouine par les uns, face de rat par les autres voire tronche de cake par les enfants, notre énergumène ne semble pas en prendre ombrage. Pour tout vous dire, il est peu avenant mais très aviné et passe ses journées, tel un ruminant, à mâcher des Stimorols périmés et puants. Il a l’œil vitreux et qui paraît sans vie, la bouche toujours en activité, mastiquant même lorsqu’il est à cours de pâte à mâcher et l’intelligence d’un poisson rouge. En un mot, la grâce de Dieu n’est pas passée par sa crèche. Seul son nez en trompette rappelle son état d’homme avec un grand H, au grand dam de l’humanité.
   M’est avis que la seule chose qui reluit chez Luster c’est son compte en banque. Vous me croirez si vous voulez mais notre caïd est plein aux as, ce qui n’est pas pour déplaire aux commerçants, faux-culs invétérés, qui ne manquent pas de lui faire des courbettes, de se plier en quatre, bref, de lui cirer les pompes pour lui soutirer quelques gros billets en échange de leur quincaillerie. Car il faut le dire aussi, du point de vue vestimentaire, Luster, c’est la grande classe. Sa classe attitude, sa « classitude » comme il aime à dire, son élégance sans strass, plutôt sophistiquée relève de l’inattendu, de l’exploit, du spectaculaire même quand on connaît le personnage !
   Un chapeau à la Clint Eastwood, un costard, très bien coupé, à demi ouvert ou demi fermé c’est selon, pour laisser entrevoir son Colt à la ceinture. De quoi faire illusion quelques instants sur sa personne, faire flipper les passants dans la rue et appâter les « Marie-couche-toi-là » du quartier. Mais à y voir de plus près, sous ses airs de teigne, de fils à papa hargneux et capricieux achetant toutes les permissions en monnaie sonnante et trébuchante, à y voir de plus près donc, Luster n’est qu’un « moins-j’en-fais-mieux-j’me-porte », un « y-a-qu’à-faut-que », un fainéant hors pair, hors catégorie, inclassable ! Même pas homologué dans l’histoire de la fainéantise ! Et pour ce qui est de la finesse, vous l’aurez deviné, notre homme ne fait pas dans la dentelle ni même dans la toile de jute. À ce niveau là c’est du filet de pêche grosse maille.
   D’aucuns diront qu’il a eu une enfance malheureuse, dou-loureuse ; une mère devenue démente suite à un accident ; son père broyé par une machine agricole quand lui n’avait que six ans. Mais je sais de source sûre que tout bébé déjà Luster menait la vie dure à sa môman comme il disait. Il lui en faisait voir de toutes les couleurs pourvu qu’elle hurlât, trépignât puis cédât à ses caprices. À la suite de quoi, on pouvait la trouver abattue, complètement prostrée dans son salon à attendre on ne sait quoi, l’air hagard. D’autres m’ont rapporté que bien des fois on avait retrouvé le petit Lulu au milieu de la forêt, là où rares se font les promeneurs. Quand on le ramenait chez lui, au lieu d’exulter de joie, le visage de sa mère s’assombrissait et des larmes coulaient le long de ses joues. Elle aurait eu dans ces moments-là un air qui signifiait « ce n’est pas encore pour cette fois ».
   Quoiqu’il en soit, le résultat de ces vertes années d’enfant roi teintées de scènes d’hystérie, de haine et de violence n’est pas fameux. Luster devenu grand est aujourd’hui un fieffé menteur, un mercenaire sans foi ni loi, un mafieux de seconde zone (mais mafieux quand même) traître avec ça et qui tuerait père et mère, s’ils n’étaient déjà morts, pour arriver à ses fins.

Mélanie

* Le luster est un tissu brillant, léger, chaîne en fil retors ou coton, trame en laine mohair ou alpaga

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