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le zinc de l'écriture
28 février 2012

Les œufs

Pour une raison de logistique je devais sonner chez la voisine du neuvième. Manquant d’œufs mes crêpes étaient en mauvaise voie…

Mais la porte s’ouvrit sur une enfant et, en un instant fugace dû à l’effet de surprise, je vis en elle… Il me sembla que ce fut une compréhension profonde et que nous avons un même regard sur un même monde malgré des âges différents. Elle a huit ans, j’en ai trente deux.

Nos regards se sont croisés, nos âmes se sont saluées tels deux lézards hochant la tête. En dehors du présent, en un éclair traversant les méandres du temps emmêlé ses interrogations me furent révélées. 

Un petit mouvement de recul me traversa alors face à l’entièreté de son être. J’entrevis dans son regard tout le questionnement de sa jeunesse à travers la porte entrouverte. Ses interrogations sur ce que c’est que d’être adulte et le chemin des possibles pour y parvenir, sur l’espoir, sur l’amour du cocon familial, sur qui je suis moi pour me permettre d’exister devant sa porte, sur qui elle deviendra… Son interrogation sur la confiance qu’elle peut m’accorder, sur ce que je suis susceptible de dire qui pourrait changer le cours de sa journée, si elle peut ouvrir ses oreilles sur une phrase ou même un mot qui aurait suffisamment d’égards pour sa personne et du sens pour elle. Je marchais sur des œufs car un ange assis sur son épaule me surveillait. 

Le temps d’un instant… et elle se referma à l’étranger que je restais pour elle. Nos regards se détachèrent, elle baissa les yeux la première, surprise tout à coup de me voir ailleurs que dans le hall d’entrée.

Traversé par tous les pourquoi de l’enfance je bredouillais difficilement ma question :

« Heu, bonjour, est ce que je pourrais… vous emprunter des œufs ? »

« Des Œufs de Poule ? »   Elle était fière de son savoir.

En riant j’acquiesçais :

« Oui, des œufs de poule… »

Elle partit dans la cuisine en trombe laissant la porte s’ouvrir entièrement et je pus voir sa mère ouvrir le frigo en me regardant, je fis le signe « deux » de la main.

Les tensions étaient tombées, le sourire est le résultat du lent polissage de la grimace.

«Tiens monsieur. »

Toute la beauté, l’incompréhension, la fragilité, la force.

Elle avait les yeux posés sur les œufs.


Benoît

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