Le chêne et le ramier
Le chêne un jour dit au ramier :
« Vous n’avez pas raison de souiller ma ramure
Vous êtes des oiseaux le plus mal élevé !
Car vos pareils qui d’aventure
Se soulagent sur ma feuillée
Font profil bas, vont s’excuser…
Mirez mon tronc altier saluant le soleil
Ma tendre canopée, au Caucase pareille,
Maculés par l’œuvre des vôtres.
Allez plutôt souiller ce roseau gringalet,
ces maigre peupliers chétifs de la forêt.
Tout vous est porcherie tandis qu’écrin je suis,
comme velours, soie, organdi.
De faibles créatures en moi prennent abri.
Si toutefois vos fientes me fertilisaient,
Je tolérerais vos souillures ,
Et les piaillements de vos progénitures !
Mais vous squattez le plus souvent
Effrontément au détriment
De chétifs oisillons : mésanges bleues, pinsons
Qui plus jamais ne sont tranquilles
dans leur duveteuse maison.
Malpoli, mal bâti, cependant je vous plains. »
« Votre compassion, répartit le pigeon,
Est plus malodorante et vile que mes fientes.
Vous n’ êtes qu’un envieux et vous resterez fat !
Un imbécile heureux par le vent porté là ;
Et moi, sincèrement, je ne vous envie pas !
Je suis libre et sans loi, je change de maison
ici ou là, quand ça me chante, le vent m’emmène. »
Dignement le ramier s’éleva, tournoya,
Enfin il honora tant grassement le chêne
Qu’au cours du rude hiver le prétentieux creva.
Jeannine O
d'après Le chêne et le roseau de Jean de La Fontaine