Elle nous l'avait promis.

Avant notre retour dans la maison de Mamie Nane, Martha devait y faire le grand ménage.

Mamie Nane était partie comme cela, sans avoir le temps de retourner sur ses pas, de ranger sa cuisine, ni de débarrasser sa table et les épices de son dernier repas pris au Pré rondelle.

Par un soir de septembre, on l'avait transportée de toute urgence au 17 éme étage du CHU de Rouen sans qu'elle ne puisse plus jamais revenir sur les contreforts escarpés de son Pays d'Auge. Sur ses flancs, la bâtisse à colombages, un peu tordue, avait rythmé notre enfance célébrant nos retrouvailles dans de solides cousinades. Nous investissions tous les recoins de cette maison, explorions toutes les branches du verger, toutes les bottes de foin de la grange verte. Le Pré rondelle, fut le palais de notre enfance où Mamie Nane avait construit un royaume délicieux et touffu. Sans elle, l'enchantement s'était rompu et l'enfance s'était définitivement arrêtée à la porte de son domaine.

Alors, avant de se séparer de la bâtisse dans laquelle aucun de nous n'envisageait de vivre, nous avions imaginer nous retrouver une dernière fois. Explorer de nouveau les recoins, brandir d'inédites trouvailles, rire, toujours... Les cousins avaient dit oui, pour une fois encore. Martha avait promis d'y faire cette fois ci, le grand ménage. Ménage pour lequel mon mari et moi lui versions une obole mensuelle pour l'entretien des lieux.

Nous arrivâmes le vendredi soir depuis notre bocage virois. Nous avions projeter d'investir le Pré rondelle avant que les cousins déboulent avec leurs marmailles, qui de Cean ou d'Alançon. Car aucun de nous n'avait pu se résoudre à s'éloigner de ses terres normandes.

La grille du verger ne couina pas. Je lançais un regard appuyé à Paul. Martha et sa burette d'huile étaient bien passées par là. Les herbes folles, colonisant l'allée, prétendaient pourtant le contraire. Il s'en agaça d'emblée. Les volets étaient clos et la porte, fermée à double tour. Mais nous trouvâmes, comme convenu, le double caché sous le grand saloir de grès.

Il n'avait pas changé et derrière la porte il nous attendait, l'aimable foutoir de Mamie Nane.

"On regardait partout les traces du passage de Martha. Ahhh la caisse à épices a été déplacée. Cela veut dire qu'elle a passé l'aspirateur dans ce coin. Oui, mais pas dans celui là, regarde, derrière les fauteuils et sous le radiateur, c'est immonde. Oui, mais sous le radiateur, c'est difficile d'y accéder. On se l'était dit pour nous même, nous ne nous obligerions pas à la perfection, l'endroit était inaccessible. Mon mari, je le sentais, n'était pas enthousiasmé par le travail de Martha."

Peu m'importait le ménage, j'éloignais la nausée de mon cœur serré par de veines paroles. Qu'importait la poussière, pourvu que la maison de ma Nane bruisse encore une fois de nos pas, résonne des cavalcades d'enfants, se torde sous nos rires.

Nous avançâmes pas à pas, marquant chaque objet par l'anecdote d'un souvenir tandis que Paul, mon mari, inventoriait débris, salissures et poussière qui, il faut bien l'avouer, envahissait le lieu. L'agacement de Paul retomba en même temps que mon enthousiasme quand nous découvrîmes la dépouille de Martha. Elle gisait en travers du séjour, l'aspirateur dans une main, le chiffon à poussière dans l'autre. Son asthme récidivant avait fini par l'emporter. Mamie Nane le pressentait bien elle, qui lui interdisait tout ménage.

Claire Le Clève

Entre "" un extrait du livre J'ai renvoyé Martha de Nathalie Kuperman chez Gallimard

Le grand ménage

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