Le portrait-moule à gâteau

L’objet que j’avais oublié

Je t’ai acheté en janvier 1991 (même pas pendant les soldes). Je me souviens t’avoir payé 159 F (cent cinquante neuf francs). C’était au siècle dernier, on ne comptait pas de la même manière en ce temps-là. C’était une somme pour mon budget de l’époque ; mes amies ne comprenaient pas vraiment, elles auraient plutôt investie cette somme dans une fringue branchée ou un autre truc futile.
Mais non, moi, j’avais lu un article dans un magazine féminin sur toi et j’avais tout de suite été séduite par ton côté novateur, incassable, pratique diététique. Tu fais partie des tous premiers moules à gâteau en silicone et je t’ai choisi en forme de cœur. Tu es mon compagnon le plus fidèle et tu ne m’as jamais trahi. Je t’ai toujours utilisé pour séduire mes nouveaux amants en leur confectionnant des mousses kiwi-gingembre. Tu m’as consolé de leur départ en me préparant des fondants au chocolat. Tu m’as accompagné dans tous les bars rennais lors des anniversaires de mes potes et tant pis si on la jugeait kitsch, la fille qui faisait des gâteaux en forme de cœur.
Tu as été la bête noire des institutrices de mes enfants car il faut être surdoué en géométrie pour diviser un cœur en 23 parts égales.

Dans toutes mes galères, dans toutes mes joies, lors de tous mes départs furtifs avec bagages ultralégers, tu as toujours été là.
Aucun huissier ne t’a jamais saisi car ces hommes-là ne connaissaient pas ta valeur.

Allez, ne sois pas susceptible et viens avec moi sur notre île, on pilera des fruits exotiques, on les mélangera à du lait de coco, on utilisera des algues comme gélifiants et on se fera les meilleurs gélifiants du monde.

France